En mai, si cela te plaît, lis une nouvelle !
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Bilan d’écriture du mois d’avril

J’ai l’impression qu’avril est passé comme une tornade ! Conséquence, je n’ai pas fait grand-chose concernant l’écriture.

Il faut dire aussi que les phases de correction / révision ne donnent pas le même sentiment que les phases de rédaction pure. Je m’aperçois que si j’apprécie les phases de correction, je n’en tire jamais la même euphorie que lors de l’écriture. C’est plus cérébral et analytique, moins magique.

En avril, j’ai donc travaillé à la révision du Manoir de malencontre demandée par mon éditrice. Je viens de finir et je laisse reposer le manuscrit quelques jours avant dernière relecture et envoi. Je devais étoffer le manuscrit, un peu trop court. Je suis passée de 42K à 47K mots, ce qui reste court, mais pour faire plus, il me faudrait complètement changer le récit, ajouter des personnages… Ce ne serait plus la même histoire. On verra donc le verdict de mon éditrice.

Mes autres manuscrits sont restés intouchés, mais j’ai soumis Gean qui meurt & Gean qui rit à un appel à textes. Réponse, uniquement s’il est sélectionné, début 2023 : il y a le temps !

Pour le mois de mai, je prévois de reprendre et (j’espère) boucler le premier jet des Poupées russes… qui doit d’ailleurs changer de titre assez vite.

La fiction du mois

Ce n’est pas parce que je n’ai rien écrit ce mois-ci que je ne vous donne rien à lire. 😉

Voici donc une nouvelle écrite en janvier 2020 pour un concours de nouvelles local « Plume de printemps ». La nouvelle a obtenu le 4e prix, ce qui est honorable sans être extraordinaire. Cela dit, je considère que de toutes les nouvelles que j’ai écrites, c’est la plus aboutie techniquement.

Pour l’anecdote, dans mon travail d’écrivain public, j’ai fait la connaissance l’année d’après d’un client qui venait pour son récit de vie. Lors de notre premier entretien, quand ce monsieur s’est présenté, j’ai été prise de vertige : il me racontait l’intrigue de ma nouvelle, parfois quasiment mot pour mot ! Au point que je lui ai dit « Monsieur, j’ai écrit votre histoire l’an dernier » et lui ai fait lire mon texte.

Même si, a posteriori, la vie de mon client diffère finalement beaucoup de mon récit, je reste persuadée que le destin nous a fait ce jour-là un clin d’œil avec cette coïncidence improbable.

Mille neuf cent quarante-deux – nouvelle

Écrite par Anne de Latour, 2020 – tous droits réservés

Le 25 juillet 1975, Ferdinand Lenoir mourut d’une crise cardiaque à l’âge de cinquante-cinq ans. Cette mort prématurée bouscula son fils aîné Charles plus qu’il ne s’y était attendu. Charles vouait à son père une grande admiration, mais Ferdinand avait toujours forcé le respect et la distance. Charles regrettait soudain tous ces sujets qu’il n’avait pas osé aborder, toutes ces émotions restées inexprimées. C’est sans doute ce qui poussa le jeune homme à se lancer dans la généalogie, une façon détournée de se rapprocher de la mémoire de son père.

Il commença par consulter les registres, et s’étonna des dates extrêmement rapprochées entre le mariage de ses parents et sa propre naissance : à peine deux mois ! Cela dit, ce genre de grossesse accélérée n’était pas rare à l’époque.

Dans le même temps, sa mère, sous le choc de son veuvage précoce, ne se sentait pas le courage d’affronter seule la maison devenue trop grande, et Charles lui proposa de trier les papiers qui s’entassaient depuis des décennies dans le bureau encombré.

Sous une pile de vieilles factures, tout au fond du troisième tiroir de la commode qui servait de rangement, Charles découvrit une liasse de lettres fanées, enrubannées de mauve, adressées à Mademoiselle M. Duval. Des lettres d’amour ? Le tampon tout juste lisible sur l’enveloppe du dessus datait de 1942, l’année du mariage de ses parents — et de sa naissance. Sans doute une correspondance de jeunes fiancés ?

Charles effleura les enveloppes du bout des doigts comme si elles risquaient de s’effriter. Il brûlait du désir de les lire. En même temps une sorte de pudeur le retenait de pénétrer dans l’intimité de sa mère alors qu’elle se trouvait à quelques mètres de lui, dans la cuisine juste au-dessous. Mais après tout, s’il s’agissait de ses parents, cela faisait de ces lettres une partie de sa propre histoire. La curiosité l’emporta. Charles jeta un œil dans le couloir puis, écrasant ses dernières réticences, détacha le ruban et tira la première feuille de son enveloppe.

« Ma Mimie chérie, » ainsi s’amorçait cette missive écrite d’une main soignée, mais dans un français assez approximatif. Fronçant les sourcils, Charles tourna le feuillet et s’arrêta sur la signature : « Ton Karl pour toujours ». C’était quoi, une blague ? Une illusion d’optique ? Il retourna la lettre en tous sens comme si l’angle de vue allait par magie en rétablir le contenu.

Il survola d’un œil fébrile les autres lettres, toutes signées de la même main, entre mars et août 1942. Karl y racontait son quotidien dans l’armée, affirmait son amour pour sa dulcinée, évoquait même des projets de mariage à l’issue de la guerre. Pas besoin d’être un génie pour en tirer les conclusions qui s’imposaient. Charles sentit ses jambes lui manquer et il s’affaissa sur le divan.

Une vague de colère et de honte mêlées le submergea. Il s’en voulait d’avoir lu ce courrier qu’il n’aurait jamais dû ouvrir et qui l’avait transformé en vulgaire voyeur. Il abominait l’idée que sa mère ait pu tromper son père. Et surtout, il éprouvait un vertige ignoble à devoir admettre qu’il n’était en toute probabilité pas le fils de Ferdinand. Il lui semblait perdre son père pour la deuxième fois. Sans parler de l’embarras cinglant de se découvrir fils illégitime d’un soldat allemand, lui qui se targuait d’être l’héritier d’un résistant de la première heure… L’équilibre d’une vie ne tenait qu’à un fil, et ce fil venait de se rompre tout net.

Charles passa en revue une fois de plus les enveloppes étalées sur la commode, et attrapa la dernière. Dans cette ultime lettre du 6 août 1942, Karl annonçait son transfert sur le front russe et sa crainte de ne pas revenir. Il exprimait avec une maladresse poétique sa déception de ne pouvoir espérer assister à la naissance de leur enfant. Leur enfant ! Charles resta anéanti sur le divan, la lettre serrée entre ses doigts crispés.

Puis les questions se mirent à affluer.

Qu’était-il advenu ensuite ? Pourquoi plus de nouvelles ? Karl avait-il péri sur le front russe ? Charles se rappela que Marguerite et Ferdinand étaient déjà mariés en ce 6 août. Marguerite avait-elle éprouvé des remords tardifs et rompu tout contact ?

Comment allait-il affronter sa mère en sortant de la pièce ? Que lui dire ? Il se sentait tout aussi incapable de lui parler de sa découverte, que de prétendre ne pas savoir. Elle lui avait caché la vérité pendant plus de trente ans — il ne se sentait pas même capable de lui mentir jusqu’à la porte d’entrée. Cette réflexion lui fit l’effet d’une douche glacée, et calma un instant le torrent d’interrogations qui se précipitait sous son crâne.

Il gronda de désespoir et d’impuissance. La lettre qu’il tenait toujours crépita en se ratatinant dans son poing rageur.

Ses pensées revinrent vers Ferdinand : savait-il la vérité ? Charles ne se souvenait pas que son père, celui qu’il tenait pour son père, ait jamais laissé échapper le moindre indice. Ferdinand l’avait toujours traité avec la même affection, la même exigence, la même rigueur qu’il montrait à l’égard de ses frères et sœurs plus jeunes. Ferdinand ne savait peut-être pas. Charles en était même persuadé. Il ne pouvait imaginer qu’un homme ait pu à ce point adopter l’enfant d’un amant rival dans son foyer. Si Ferdinand n’était pas son père, Charles trouvait rassurante l’idée qu’il l’ait du moins toujours cru. La sincérité de son amour paternel adoucissait quelque peu la sordide vérité.

Pris dans le tumulte de ses spéculations, Charles ne l’entendit pas monter les escaliers. Le pas léger de Marguerite se rapprochait dans le couloir. Lorsque sa mère atteignit le bureau, elle le trouva la main dans l’enveloppe à défaut du sac, essayant en vain d’y fourrer la lettre froissée. Marguerite s’immobilisa dans l’embrasure de la porte à la vue des courriers éparpillés sur la commode. Elle soupira :

— Ah, tu les as enfin trouvées…

Charles ne répondit pas. Évidemment qu’il les avait trouvées, ça se voyait, non ?

— Je voulais t’en parler, mais…

— J’aurais aimé que tu m’en parles, oui. Plutôt que de découvrir ça comme ça, fit-il avec amertume.

— Je suis désolée, mon chéri.

Charles se mordit la langue pour retenir le flot d’injures qui bouillonnait soudain dans sa gorge. Elle montrait une mine plutôt contrite, certes, mais rien de la culpabilité cuisante qu’elle aurait dû ressentir ! N’avait-elle donc aucune conscience, aucune morale ?

— Je dois y aller, réussit-il à articuler.

S’il restait, il craignait de perdre le contrôle, de faire une bêtise.

— Non, attends ! Ces lettres ne t’expliquent pas tout.

— Elles m’expliquent que je suis le fils bâtard d’un Nazi, ça me suffit, je crois…

Il s’entendait dire n’importe quoi, et sentait avec horreur sa voix s’envoler dans les aigus. La haine le rendait pathétique et ridicule.

— Non, non, non ! Ne dis pas n’importe quoi, voyons ! Tout ça, c’est à cause de la guerre…

— Est-ce qu’il savait ? Est-ce que Ferdinand le savait ? Qu’il n’était pas mon vrai père ?

— Bien sûr ! fit Marguerite, l’air interdit.

Charles faillit s’étouffer de fureur. Il lui cracha littéralement les mots à la figure :

— Et tu pouvais encore le regarder en face ? Après ça !

Marguerite recula d’un pas, comme soufflée par la violence de son fils.

— Mais après quoi, enfin ?

— Tu me dégoûtes !

Elle porta les mains à son visage, prise d’une révélation soudaine.

— Oh mon dieu, tu crois que… non, je ne l’ai pas trompé, enfin, je veux dire, ce n’est pas moi qui…

Elle désigna son ventre. Charles ouvrit la bouche, mais ne put rien en faire sortir d’intelligible. Sa colère se figea soudain, laissant son cerveau pétrifié. Il ne comprenait plus rien à rien. Il avait cru perdre tous ses repères quelques instants plus tôt, il croyait que le pire était arrivé. Mais non. Les dernières fondations de son monde déjà ébranlé s’écroulaient comme un vulgaire château de cartes, emportant dans leur chute les pauvres débris de son identité.

— Mais si tu n’es pas ma mère… réussit-il à articuler enfin… Qui ?

Marguerite s’assit à côté de lui et posa ses mains sur son bras. Ces mains si maternelles qui l’avaient toujours soigné, rassuré. Encore une illusion crevée. Charles sentit les larmes gonfler dans sa gorge et derrière ses paupières. Marguerite murmura :

— On voulait, on devait te protéger… C’était la guerre ! Et puis après, c’est vrai, je n’ai jamais trouvé le bon moment.

— Je suis qui, moi, alors ? s’étrangla Charles.

Marguerite sortit son mouchoir et essuya ses larmes comme lorsqu’il était enfant.

— Tu restes notre fils, à Ferdinand et moi. On t’a aimé et élevé comme notre fils, toujours.

Charles secoua la lettre et la tête en reniflant. Cette réponse ne suffisait plus.

— Je m’en fous de ça ! Il écrivait à qui, Karl ? Je viens d’où, je sors d’où, en vrai ? cria-t-il, en quête d’une explication qui pourrait rétablir l’équilibre de son univers.

— Marie. Ma sœur jumelle.

Ça n’avait aucun sens. Marguerite poursuivit dans un souffle :

— Elle est morte en couches. On avait tellement peur qu’ils te prennent, tu comprends ? On a falsifié tous les papiers. Tu es notre fils.

-FIN-

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